Mobiliser pendant dix mois une trentaine d'étudiants en informatique, en biologie, en pharmacie, mais aussi des profils juridiques et commerciaux, pour les amener à développer des outils concrets -logiciels, applications, interfaces de programmation ou objets connectés- afin de résoudre des "irritants" vécus par les acteurs de santé: telle est l'ambition de cette "Matrice santé et numérique" ouverte par Roche.
Pour Anne Philippot, il s'agit d'apporter "un regard neuf" aux problématiques du secteur, de "fonctionner en hybride en mélangeant des disciplines", et de pouvoir, "sur la base d'une immersion dans le monde de la santé, aboutir à un prototypage et à un test en continu des projets qui pourront être mis sur la table".
La directrice de l'innovation du laboratoire Roche, qui monte en interne un "Hub innovation", s'est dite "séduite par la dimension temporelle" du programme Matrice, qui s'étend sur une année scolaire, contrairement aux hackathons, souvent limités à 48 heures de développement informatique acharné.
"J'ai trop souvent vu des hackathons qui étaient très centrés sur la phase d'idéation, et qui avaient ensuite du mal à rendre robustes les solutions développées", a-t-elle témoigné.
Ils sont aussi invités à assister à six "rencontres thématiques" sur l'accès aux soins et le numérique, le traitement et la prise en charge du cancer, l'intelligence artificielle (IA) et l'aide au diagnostic, le parcours de soin, le partage des pratiques entre professionnels, l'innovation et la R&D, le big data et les données de santé.
Le thème du programme, "l'entreprise de santé du futur", est volontairement large. "Nous ne souhaitons pas présupposer les réponses que les étudiants vont pouvoir nous apporter en leur présentant une liste précise et concrète d'attentes", a justifié Anne Philippot.
Roche a toutefois identifié des "routes de besoins", a-t-elle expliqué. Elle a notamment cité "la fluidification des démarches des médecins investigateurs d'essais cliniques", "la transmission de données patients entre professionnels", "la transformation des métiers à l'hôpital", "les outils pédagogiques autour des pathologies" et plus généralement "la mise à disposition d'informations en temps réel".
"Le monde de la santé et de la pharma vit sous une avalanche de données qui ne sont pas forcément faciles d'accès, à la fois sur le fond car elles sont scientifiques et techniques, et sur la forme", a-t-elle analysé.
Après leur immersion, les étudiants vont produire des "rapports d'étonnement" qui formuleront des idées afin de répondre à certaines problématiques du secteur. "C'est au croisement de ces rapports et des routes de besoins identifiées par Roche que nous aboutirons à des projets concrets et à des prototypages", a expliqué la directrice de l'innovation du laboratoire.
La trentaine d'étudiants, dont la moitié est en formation à l'école 42, se répartiront ensuite dans cinq à six équipes, concentrées sur une problématique issue de la phase d'immersion.
Suivront plusieurs séquences, de deux à quatre mois chacune, visant en premier lieu à "tester la pertinence" et "la faisabilité" du projet (phase de transformation) puis à bâtir un premier prototype (production), avant d'expérimenter le dispositif développé sur le terrain, auprès des acteurs de santé concernés (action, voir encadré ci-dessous), a expliqué à TICpharma Isabelle Ampart, responsable de la communication du programme Matrice.
Entre chacune de ces phases, des "escales" permettront aux étudiants de faire le point, face à une "communauté d'experts", sur l'état d'avancement du projet, leurs besoins et les difficultés rencontrées, a-t-elle précisé. Des rendez-vous hebdomadaires obligatoires sont également prévus pour favoriser les échanges entre les différentes équipes.
"Au fil du temps, un mentorat peut se mettre en place avec le laboratoire Roche ou avec des associations de patients. Il s'agit de créer un maillage et un grand réseau de connaissances et de transmission que les étudiants pourront solliciter à tout moment", a souligné Isabelle Ampart.
Car l'un des enjeux pour Roche est bien d'"ouvrir le monde de la pharma", à la fois aux compétences et au regard de néophyte que peuvent porter les étudiants du programme Matrice sur le monde de la santé.
Une trentaine de collaborateurs du laboratoire ont été mobilisés pour apporter leur expertise et accompagner les projets des étudiants. "Cela va forcément générer de nouvelles façons de travailler, moins séquentielles. Nous aimerions faire de ces collaborateurs des ambassadeurs de la transformation en interne", a noté Anne Philippot.
L'objectif est d'agir "par capillarité", a-t-elle complété. Ces "ambassadeurs" feront part de leur expérience au sein du programme Matrice et pourront "témoigner de nouvelles façons de faire, de s'organiser et d'inclure le professionnel de santé dans cette dynamique, afin d'irriguer l'ensemble du groupe", a-t-elle observé.
Pour les étudiants, il s'agit d'"ouvrir un réseau, des opportunités de business" et de sortir du programme "avec une vraie expérience de maîtrise d'ouvrage et d'entreprenariat global sur un secteur en particulier", a complété Isabelle Ampart.
Les équipes auront la possibilité de créer leur propre structure juridique pour commercialiser leur produit. Si l'idée est bien de laisser le plus de liberté possible aux étudiants afin de diffuser leur produit ou service, "on pourra s'assurer tout au long du processus que si la solution technologique est particulièrement juste par rapport à un élément de notre métier, ce ne soit pas notre concurrent direct qui puisse en bénéficier immédiatement", a indiqué Anne Philippot.
"En revanche, la volonté est bien que la solution puisse être interopérable et opérée au sein de l'écosystème de santé", a-t-elle précisé.
Les quatre phases de la Matrice santé et numérique
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